Chère Granny,
Tu me manques, Granny. Ils refusent que je vienne te voir comme de t’accueillir quelques jours en France, mais je t’assure que si j’avais la place dans mon studio – enfin, c’est comme ça qu’ils appellent ça, mais ça s’approche plus d’un placard à balais.) – je t’aurais logée volontiers.
Granny, je me suis rendue compte qu’à cause de mes parents trop égoïstes pour me partager, mais trop occupés pour poser un œil sur moi, tu ne me connaissais pas. Alors Granny, enchantée, je me nomme Lussy Eloïse Rose Juliette Amanda Angélique De Monceau, et je suis née le vingt-huit décembre de l’année mille neuf cent quatre-vingt quinze.  Tu as dû voir des photos, je présume, mais je te ressemble beaucoup, à ce qu’on dit. Très mince, d’une taille… relativement normale je crois, j’ai le visage parsemé de taches de rousseur, et tes yeux d’un beau bleu azure.
Granny, c’est terrible. Mes parents, ils… Ils me l’ont enlevée. Si j’aimais quelqu’un c’était Mathilda, Granny. Et ils l’ont renvoyée pour cette simple raison. Parce que je l’aimais. C’était de la jalousie pure. Et je leur en veux, et je leur en voudrait toujours pour cela. Ils sont riches. Ils sont des bourreaux de travail. J’en ai marre, Granny ! Ils me sortent par les yeux. Je les aime, mais j’ai l’impression que c’est un amour purement génétique. Ah, s’ils savaient que je t’écrivais.
Tu sais que je tiens mon prénom de la seule concession que mon père a fait à ma mère à ma naissance ? Un prénom à la consonance française mais à l'orthographe anglo-saxonne. Mais il m’appelle Eloïse. Tout le temps. Si bien que c’est rentré. Je répond à ces deux prénoms.
Granny, je suppose que tu n’es pas au courant, mais je suis à la fac, tu sais ? En deuxième année, même ! J’ai sauté une classe en primmaire. Le savais-tu ? Je suis donc étudiante en lettres modernes et archéologie. Ça me passionne. Vraiment. Oj, Granny, si tu savais comme j'aime écrire ! J'écris tout le temps. Je voudrais tant être auteur, Granny. Ou doubler des dessins animés. Mais j'ai bien plus de chances - même si elles sont minces - de vivre de mes écrits que de ma drôle de voix. J'ai la voix aiguë, et quand je suis nerveuse, je parle beaucoup. Et... Ça insupporte pas mal de monde, je dois dire.
Granny ! Granny, si tu savais... Quand je suis arrivée à Paris pour mes études, l'an passé, je... J'ai rencontré des gens merveilleux. Je n'avais jamais eu d'amis comme ça ! Ils s'appellent Katie et Jules. Granny, que je les aime ! Et, entre nous, je crois que j'envie Katie. Elle vit avec Jules, c'est son demi-frère. En fait, c'est aussi son sex-friend (Pardonne-moi l'expression.), et j'ai l'impression de... de tomber amoureuse, Granny. J'ai jamais ressenti ça. Jamais. Mais il... Jules... Je suis sûre et certaine que s'il n'y avait pas leurs parents, Jules et Katie sortiraient ensemble. Puis, à quoi bon leur dire ? À part briser notre amitié, ça ne changera rien.
Je suis vraiment désolée de ne pas t'avoir écrit depuis si longtemps, Grany. J'aurais voulu ! Mais... Mais avec la fac, avec maman et papa, avec... Je suis désolée Granny. En plus, j'ai pas d'excuse. C'est bien l'Irlande, Granny ? Ils n'ont jamais voulu que je vienne te voir. Au début, l'excuse, c'était la langue. Oui, mais tu parles français, toi ! Mais ils s'en moquent. Et même maintenant que je parle anglais, ils ne veulent pas. Ils disent qu'ils n'ont pas confiance en toi. Ni en moi. Oui, tu comprend, Granny, je suis végétarienne, honte à moi ! Je ne suis pas digne de confiance, je ne mange pas de viande ! Enfin. Je ne mange pas de viande. Seulement quand je mange à la maison. Et seulement quand mes parents mangent avec moi. Ce qui est extrêmement rare.
Je t'aime Granny. Tu me manques. J'espère vraiment pouvoir venir te voir bientôt.

Tendrement,

Ta Lussy.