+ être un extra-terrestre.
Il faut dire que quand tes soeurs portaient avec fierté une longue chevelure dorée, tout ce qu'il y a de plus occidental, Zelma, elle, avait les cheveux bruns et les yeux bridés. Personne ne s'y était jamais trompé, elle venait d'un quartier pauvre, une banlieue parisienne, et non, Azelma n'avait pas été adoptée. Alors qui était Azelma-Rose ? Ou plutôt de qui était-elle la fille, ça c'était la question sur toutes les lèvres, lorsqu'elle est née. Alors depuis son plus jeune âge, la brune supportait les remarques, les regards, surtout ceux, pesant, de la famille de son père. Elle, l'extra-terrestre. L'erreur. La méchante, dans l'histoire, c'était sa mère, non ? Pourtant, c'était sur elle que son père reportait les erreurs de sa génitrice. Alors on la regardait, encore et encore, on la comparait à ses trois autres soeurs, et puis elle ne disait rien. Lorsqu'elle est entrée au collège, dans le programme figurait les Misérables. Zelma portait presque le même prénom que celui de l'autre fille Thénardier. La fille soumise, celle qui se contente d'obéir, toujours, sans pouvoir trouver son indépendance, dans le milieux hostile où elle évoluait. Peut-être que c'était un peu elle, dans le fond, peut-être, même si elle n'avait pas à affronter une telle pauvreté. Et la soumission, c'était ce qu'on attendait d'elle. En grandissant, Azelma-Rose préféra sortir, s'évader. Tout plutôt que leur appartement froid et dur, tout plutôt qu'une mère qui ne disait jamais rien, et un père violent. Tout plutôt que cette fratrie qui ne la reconnaîtrait jamais comme des leurs. La rue avait quelque chose de rassurant. Tout cet espace pour elle, et une poignée d'autres, ça ressemblait davantage à sa définition de la liberté.

+ devenir quelqu'un.
La première fois qu'Azelma avait vu ces grands bassins, dans le cadre du cours de sport, elle s'était dit qu'y plonger et rester au fond serait sans doute une bonne chose. Elle peinait à trouver sa place, dans le collège qu'elle fréquentait, sans cesse on la comparait à ses soeurs. Les filles extraverties, appréciées partout où elles allaient. Azelma, elle, prenait l'habitude de toujours se laisser dans l'arrière du décor. De se faire oublier. On la remarquait assez peu, elle avait un petit groupe d'amis, tous plus âgés qu'elle. Au collège, on aurait pu dire que sa solitude faisait peine à voir. Lorsqu'elle a plongé pour la première fois dans l'eau claire, Azelma s'est sentie bien. Juste bien. Juste en paix, l'eau, calme, la submergeait, et elle s'y sentait légère. Libre. Comme un poisson dans l'eau. Et c'était là la première fois qu'elle se démarquait dans un domaine : la natation. Rapidement, elle apprenait les nages de rigueur. On aurait dit qu'elle avait fait ça toute sa vie. Voilà pourquoi, les années suivants, Azelma-Rose s'y est consacrée. Entrée au lycée, elle s'est peu à peu affirmée, après avoir rejoint le club de natation, gagné ses premières compétitions. Elle était tout simplement faite pour ça, née pour être dans l'eau. Zelma brillait dans son domaine, elle s'est bien ancrée dans son équipe. Peu à peu, elle a monté les échelons. Elle a reçu une bourse pour une université qui permettait d'aménager ses horaires d'entraînement avec les cours. Mais les cours, ça ne l'intéressait pas réellement, elle ne s'y est jamais consacrée. Au final, on la prédisait faite pour les prochains Jeux Olympiques. Elle s'entraînait, encore et encore, peu importait ses cheveux abîmés par le chlore, ses épaules un peu trop carrées. Peu importait, il n'y avait que la natation.

+ redevenir une ombre.
Et malgré sa famille reniée, ses amis un peu délaissés au profit de sa passion, ses entraînements acharnés, ces jours où elle rentrait chez elle sans plus aucune force dans le corps, tout allait bien. A merveille, même. Sa vie lui plaisait, et si un jour la compétition la lassait, elle pourrait sûrement à son tour ouvrir cette voie aux plus jeunes, aider d'autres à s'en sortir. Azelma rentrait chez elle. A pied, évidemment, circuler dans Paris, ça l'ennuyait souvent trop pour qu'elle ne songe à prendre sa voiture. Et puis, marcher le soir avait quelque chose d'apaisant, à ses yeux. Traverser. Être éblouie par la lumière des phares d'une voiture. Être renversée, dans un énorme fracas, tandis que le reste du monde devient trouble. Être bloquée sous tout ce poids. C'était la fin. La fin de tout, tout était blanc à présent...Blanc. Azelma se réveilla dans une chambre d'hôpital. Le docteur parlait, elle ne voyait rien, juste ses jambes masquées par des pansements et bandages. Juste l'absence de sa jambe gauche. Trop endommagée dans l'accident, disaient-ils. Mais est-ce qu'ils avaient pensé à elle ? A sa vie ? Non, sans doute pas, ce conducteur, il aurait dû être plus violent. La dévorer toute entière, plutôt que de l'empêcher de vivre de sa passion, de l'amputer en même temps d'une partie de son âme. Azelma-Rose était perdue. Qu'allait-elle faire ? Elle ne savait plus rien. Elle avait consacré des années et des années à s'améliorer encore et encore, et aujourd'hui, tout partait en fumée, chacun de ses efforts avaient été vains.